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L’APPEL AU SOLDAT

Quelle chaleur sous cette halle où le jour baisse ! Sur les marchepieds, sur les toits des wagons, et puis là-bas, bien loin, la foule, heureuse, s’occupe à chanter la Marseillaise, et dans la pause qui suit « arrose nos sillons ! » on entend régulièrement le cri aigu de Mouchefrin : « À l’Élysée ! » N’osant plus tenter de saisir son prisonnier, elle lui jette ses chants, ses cris, ses gestes violents, elle se jette elle-même vers lui et ne sait par quelle invention prouver l’intensité de son amour. — À la manière de cet humble, mentionné par les hagiographes, qui chaque matin faisait une culbute en l’honneur de la Vierge Marie, un gymnaste, éperdu d’enthousiasme, se hisse par-dessus les têtes le long d’une ferme de fer et, devant la portière du Général, exécute de brillants rétablissements.

Neuf heures ! Depuis une heure le train devrait être parti. La gare pleine de nuit maintenant retentit du long sifflet des convois en souffrance. De main en main, une bouteille de bière et des verres s’en vont vers le Général, qui a demandé à boire. Puis on se bat pour obtenir ces objets consacrés. Un employé a pu s’approcher :

— Mon Général, si vous tenez absolument à partir, il n’y a qu’un moyen : consentez-vous à monter sur une locomotive ?

Du compartiment, quelqu’un se penche :

— Le Général étouffe ; il demande qu’on le laisse descendre et faire quelques pas.

L’intimité est grande entre le héros et sa foule. Tous crient : « À Paris ! » se découvrent, voudraient, à la fois, s’effacer et l’approcher. L’immense tourbillon ! Un cri s’éleva qu’il était par terre. L’anonyme