Page:Barrès – Leurs Figures.djvu/197

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
193
LA PREMIÈRE CHARRETTE

« pour soulager ma conscience que pour éclairer mon pays. »

Ainsi poignardé, Clemenceau pourtant parut à la tribune. Cet homme né agressif et qui, même dans la vie familière, procède par interpellation directe et par intimidation, ne pouvait avoir qu’une méthode : d’opposer à un réquisitoire une provocation et de se justifier en courant sus à l’accusateur. Mais le milieu parlementaire, nonobstant les licences de cette soirée exceptionnelle, impose des formes convenues aux sentiments que de tels ennemis voudraient traduire sur l’heure en violences. L’outrage, la haine, l’appétit de sang, Clemenceau ne les montra d’abord que dans sa façon d’accentuer et de ponctuer. Et cet endiguement des fureurs haussait ce corps à corps jusqu’au caractère royal d’une tragédie.

Le premier mot de Clemenceau gravissant la dernière marche, quand les applaudissements continuaient encore autour de Déroulède, fut un « À moi, mes amis ! »

— « Il est facile de produire de telles accusations, mais il y a, depuis vingt ans que je siège dans les assemblées, ceux qui me voient tous les jours à l’œuvre, mes collaborateurs, mes amis qui siègent sur ces bancs et dont le témoignage vaut bien celui de M. Déroulède. »

Le jeune Pichon, figure honnête et naïve, répondit seul à cet appel. Avec les sentiments de