Page:Barrès – Leurs Figures.djvu/212

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
208
LEURS FIGURES

vier, tout ému de cette affreuse scène, écouter, bouche ouverte, approuver chaque mot de la tête, comme un enfant ou un vieillard qu’on protège.

Dans cet inexprimable désordre, la situation du gouvernement semblait détestable. Quelle force opposer aux antiparlementaires enivrés par de tels scandales, quand les Rouvier, les Roche manquent à l’opportunisme et Clemenceau au radicalisme ? Bien plus : c’est des parlementaires eux-mêmes que, les ayant décimés, il doit redouter le plus âpre péril. Des ci-devant frénétiques antiboulangistes chuchotent : « Ah ! si Boulanger ne s’était pas suicidé ! » Dans la Chambre, le banc des ministres semblait le banc des accusés. Ils avaient deux cents haines dans le dos, de la défiance aux deux extrémités de la salle, parfois l’outrage en face.

— C’est toi, Viette, qui m’as fait cela !… Toi ! — disait Roche, rappelant une vieille amitié ainsi trahie. Et à la rangée des ministres, ce petit homme couperosé, tête de vipère intelligente et pauvre, jetait son fameux sifflement :

— Vous êtes tous des canailles !

Pressés d’être seuls, pour se cacher, pour réfléchir, les ministres, dès le 24 décembre, avaient imposé de haute lutte la clôture de la session. Les amateurs de choses tragiques n’y perdirent rien.