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LETTRE DE SAINT-PHLIN

tante de notre Lorraine de se sacrifier pour que le germanisme, déjà filtré par nos voisins d’Alsace, ne dénaturât point la civilisation latine. Quel grossier aveuglement si, pour écarter une éducation par la terre et par les morts lorrains, l’on invoquait les intérêts du classicisme ! Les gens de la marche lorraine furent éternellement l’extrême bastion du classicisme à l’est.

« Mon fils, si Dieu favorise mes soins, héritera ces vertus de notre nation. Il possédera la tradition lorraine. Elle ne consiste point en une série d’affirmations décharnées, dont on puisse tenir catalogue, et, plutôt qu’une façon de juger la vie, c’est une façon de la sentir : c’est une manière de réagir commune en toutes circonstances à tous les Lorrains. Et quand nous avons cette discipline lorraine, — disons le mot, cette épine dorsale lorraine, — oui, quand une suite d’exercices multipliés sur des cas concrets a fait l’éducation de nos réflexes, nous a dressés à l’automatisme pour quoi nous étions prédisposés, nous pouvons alors quitter notre canton et nous inventer une vie. Sortis du sol paternel, nous ne serons pourtant pas des déracinés. Où que nous allions et plongés dans les milieux les plus dévorants, nous demeurerons la continuité de nos pères, nous bénéficierons de l’apprentissage séculaire que nous fîmes dans leurs veines avant que d’être nés et tandis qu’ils nous méditaient.