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LA LIQUIDATION CHEZ STUREL

vitres dépolies qui réunissait le cabinet, assez mal éclairé, à l’antichambre où brûlait un bec de gaz. Cette ombre démesurée, qui semblait guetter, convenait à cette scène.

Bouteiller s’assura que les rideaux de la fenêtre fermaient hermétiquement, puis, demeuré debout, il essuya les verres de son lorgnon :

— Monsieur Sturel, ma démarche seule vous fait assez connaître si votre projet me touche. J’ignore quelles apparences se liguent contre moi pour vous autoriser à un tel éclat, mais nous traversons une crise de fébrilité où l’imagination publique, prête à délirer, admet des fantômes dont il faudrait hausser les épaules. Étrange désordre où les meilleurs serviteurs de la République doivent se défendre et qui bouleverse tous les rapports, puisque moi, votre aîné et votre adversaire, je viens ici faire appel, dans notre commun intérêt, à votre sens politique.

Sturel, assis et les bras croisés, se livrait à la volupté d’entendre cette belle voix, qu’une dure circonstance ne changeait pas et qui touchait dans son âme les bases mêmes de la vie intellectuelle qu’elle y avait posées en 1882. Il eût voulu que l’ombre dans la pièce fût encore plus épaisse pour mieux cacher le sentiment âpre et tragique dont l’emplissait cette scène. Bouteiller semblait à son ancien élève, à son ancien croyant, un prêtre défroqué. Mais quand le député prononça qu’il venait