Page:Barrès - La Terre et les morts.djvu/20

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Sous ces pierres, dans cette terre de captivité, sont entassés des cadavres de jeunes gens de 21 à 25 ans, de qui la vie n’aura pas eu de sens si on se refuse à le chercher dans la notion de patrie. Aujourd’hui encore, ils seraient pleins de vigueur. Leur mort fut impuissante à couvrir le territoire, mais elle permet à la nation de se reporter sans une honte complète à cette année funeste. C’est une fin suffisante du sacrifice qu’ils consentirent en hâtant la disparition inéluctable de leur chétive personnalité. Les trompettes et les tambours prussiens, qui, sans trêve, d’un champ de manœuvres voisin, viennent retentir sur les tombes de Chambière, ne nous détourneront pas d’épeler avec tendresse les noms inscrits sur ces tombes, des noms fraternels.

Dans le même cimetière se trouve la pierre commémorative, qu’eux aussi, les Allemands consacrent à leurs morts. Elle jette ce cri insultant : « Dieu était avec nous ! »

Offense qui tend à annuler le sacrifice des jeunes vaincus auxquels les femmes de Metz ont fermé les yeux.

Il ne dépend pas du grand état-major allemand de décider sans appel que nos soldats luttaient contre Dieu. En vérité, la France a contribué pour une part trop importante à constituer la civilisation, elle rend trop de services à la haute conception du monde, à l’élargissement et à la précision de l’idéal, — dans un autre langage, à l’idée de Dieu, — pour que tout esprit libre ne tienne pas comme une basse imagination de caporal de se représenter que Dieu — c’est-à-dire la