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UN HOMME LIBRE

nise. En lui l’Âme vénitienne qui s’était accrue instinctivement avec les Jean Bellin, les Titien, les Véronèse s’arrêta de créer ; elle se contempla et se connut. Déjà Véronèse avait la fierté de celui qui sent sa force ; Tiepolo ne se contente plus de cet orgueil instinctif, il sait le détail de ses mérites, il les étale, il en fait tapage. — Comme moi aujourd’hui, Tiepolo est un analyste, un analyste qui joue du trésor des vertus héritées de ses ancêtres.

Je ne me suis doté d’aucune force nouvelle, mais à celles que mon Être s’était acquises dans des existences antérieures j’ai donné une intensité différente. De sensibilités instinctives, j’ai fait des sensibilités réfléchies. Mes visions du monde m’ont été amassées par mon Être dans chacune de ses transformations ; superposées dans ma conscience, elles s’obscurcissaient les unes les autres : si je n’y puis rien ajouter, du moins je sais que je les possède.

Cette clairvoyance et cette impuissance ne vont pas sans tristesse. Ainsi s’explique la mélancolie que nous faisons voir, Tiepolo et moi, ainsi que les siècles dilettanti qui, seuls, nous pourraient faire une atmosphère convenable.