Page:Barrès - Le culte du moi : un homme libre.djvu/54

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
22
UN HOMME LIBRE

les petits carnets où je note les pointes de mes sensations pour la curiosité de les éprouver à nouveau, quand le temps tes aura émoussées, je retrouve une matinée de juillet que, malade, vraiment épuisé, tant mon corps était rompu et mon esprit lucide d’insomnie, je m’étais fait conduire à la bibliothèque de Nancy, pour lire les Exercices spirituels d’Ignace de Loyola. Livre de sécheresse, mais infiniment fécond, dont la mécanique fut toujours pour moi la plus troublante des lectures ; livre de dilettante et de fanatique. Il dilate mon scepticisme et mon mépris ; il démonte tout ce qu’on respecte, en même temps qu’il réconforte mon désir d’enthousiasme ; il saurait me faire homme libre, tout-puissant sur moi-même.

Alors que j’étais ainsi mordu par ce cher engrenage, des militaires passèrent sur les dix heures, revenant de la promenade matinale, avec de la poussière, des trompettes retentissantes et des gamins admirateurs. Et nous, ceux de la bibliothèque, un prêtre, un petit vieux, trois étudiants, nous nous penchâmes des fenêtres de notre palais sur ces