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UN HASARD QUE TOUT NÉCESSITAIT

brutalement, et en outre, un livre de valeur : Le Césarisme et la Liberté.

Le parti de l’opposition devait s’intéresser à un débutant de ce nom et d’esprit ouvert. Portalis fonda avec Ernest Picard l’Électeur Libre, dont il se procura les fonds par des expédients de fils de famille.

Ainsi préparé à la grande curée, au 4 septembre 1870, il s’élança. Pour la meute parlementaire l’entrée en chasse sonnait. Vers le 12 septembre, Ernest Picard, membre du gouvernement, fit savoir à Portalis que l’armée allemande tournait Paris par le sud, que Châtillon était désarmé, qu’il fallait ameuter la population. Portalis fit l’article dont l’effet fut effrayant sur la rue déjà surexcitée ; on le mit en arrestation. Son cas, fort grave, relevait de la cour martiale. Picard ne bougea pas ; c’est Girard qui intervint et se démena. Dans cette tourmente sa maison avait sombré, faute d’élèves, mais par eux il gardait de belles relations ; il fit tant de démarches et si pressantes qu’on relâcha Portalis. D’ailleurs Châtillon avait été pris par les Allemands sans coup férir. Portalis irrité contre Picard attaqua Gambetta et la Défense nationale. Son attitude violente lui fit une réputation rapide. Le parti de l’opposition, qui allait être la Commune, s’intéressait à ce jeune homme dépourvu de ménagements. Il traita les fédérés d’étourdis, — modération dont ils lui furent plus ou moins reconnaissants, — tandis qu’il invectivait Versailles. Pour ses amis et pour « le monde », il fut un renégat.

Après ces terribles agitations dont il avait tant espéré, Portalis se retrouvait étranger à tous les partis et les mains vides. Il fut étonné et dépité. Résultat fort explicable, pourtant ! À bien examiner