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LES DÉRACINÉS

Et puis, la fameuse loi fondamentale de la raison pure pratique : « Agis de telle sorte que la maxime de ta volonté puisse toujours valoir en même temps comme principe de législation universelle. »

Il est évident que le jeune homme tourne ces derniers mots en dérision.

— Cette formule ne vous satisfait pas ? interroge le consciencieux M. Taine.

— Je ne crois pas qu’un seul de mes camarades ait pris au sérieux la péripétie par laquelle Kant ressuscite la certitude. C’est bien théâtral ! et cela nous rappelle que l’ennuyeuse tragédie philosophique du dix-huitième siècle avait déjà des moyens de mélodrame. Pour nous, l’impératif catégorique est réduit à être, comme on l’a dit, le « consultatif catégorique ». J’étais trop votre élève, monsieur, pour demeurer celui de M. Bouteiller et admettre une formule qui implique la possibilité d’une législation universelle. J’en ai parlé souvent avec l’un de mes amis, un catholique, Gallant de Saint-Phlin, et qui s’en tient à la morale théologique. Il oppose à Kant la constatation de Pascal : « Vérité en deçà des Pyrénées, erreur au delà » que vous avez pour nous mille fois contrôlée. Les hommes, de siècle en siècle, comme de pays en pays, conçoivent des morales diverses qui, selon les époques et les climats sont nécessaires et partant justes. Elles sont la vérité tant qu’elles sont nécessaires. Alors, monsieur, nous apportons devant la vie ce que vous ressentiez devant l’œuvre de Balzac : la curiosité la plus passionnée d’une si abondante zoologie.

La figure de Rœmerspacher était charmante de liberté, de force et de politesse. M. Taine, surpris que