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AU TOMBEAU DE NAPOLÉON

sublime est déposé ; nivelez l’histoire, supprimez Napoléon : vous anéantissez l’imagination condensée du siècle. On n’entend pas ici le silence des morts, ; mais une rumeur héroïque ; ce puits sous le dôme, c’est le clairon épique où tournoie le souffle dont toute la jeunesse a le poil hérissé.

Penchés sur ce puits où les architectes, qui désespéraient de lui dresser un trône suffisant, laissèrent s’enfoncer le trop lourd cadavre, les sept Lorrains, tous petits-fils des soldats de la grande armée, sentent leurs poitrines de jeunes mâles s’élargir, se gonfler amoureusement contre la balustrade de marbre, à vingt mètres de l’objet en qui ils reconnaissait leur pareil, mais plus beau qu’eux-mêmes. Ils s’enivrent de l’espoir de respirer, à travers le triple cercueil, des miasmes de mort qui seraient pour eux des ferments d’immortalité.

Ce qui repose sur l’oreiller, dans le cercueil de plomb, nous eu avons des documents certains… Les floches de France portent les traces de leurs battants qui sonnaient ses victoires ; rien d’étonnant que son cœur qui battit trente ans d’épopée ait déformé l’homme d’airain. Sur ce cadavre sont imprimés par un petit signe tous les grands instants de sa vie, la maladie de Toulon, le soleil d’Égypte, l’émotion de Brumaire, l’orgueil de son cœur au sacre, la gloire d’Erfurt, le baiser de Marie-Louise d’Autriche, les neiges de Russie, le froid matin de Fontainebleau, les cris : « Blücher ! Blücher ! » à Waterloo, ses songeries à Sainte-Hélène. Dans Sainte-Hélène, îlot sans arbres et sous le climat des tropiques, il était le roi Lear, proscrit, persécuté par ses filles. Ses filles,