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LES DÉRACINÉS

traversent des pays pauvres. M. de Freycinet les déclara stratégiques, mais le baron en fut le véritable stratège.

Bouteiller ne les suivit point dans leur conseil de guerre ; il resta avec les femmes, les peintres et quelques novices. Rapidement d’ailleurs les salons — pareils à tous les salons trop riches et avec la chaleur d’étuve ordinaire — se remplirent des hommes dont les noms, à cette date, apparaissaient dans tous les actes de la vie politique française… Chacun d’eux, pris isolément, a ses faiblesses : celui-ci manque d’argent ; cet autre chancelle dans son arrondissement ; sur le troisième courent de fâcheuses histoires de concussion ; mais leur faisceau constitue la toute-puissance parlementaire.

Depuis seize mois, M. Jules Ferry occupait le pouvoir. Les affaires du Tonkin ne présentaient pas les difficultés qu’on y rencontra peu après. Dans une magnifique majorité, au Palais-Bourbon et au Luxembourg, il avait rallié tous les gambettistes, à l’exception de deux ou trois, entêtés de la pensée entière du grand orateur. Un Jules Ferry, moins intéressant au point de vue artiste qu’un Gambetta, lui est supérieur dans l’art de gouverner. Son ministère venait courageusement d’entreprendre la liquidation à perte de toutes les grandes promesses gambettistes : réforme judiciaire, conventions avec les compagnies de chemins de fer, syndicats professionnels, organisation municipale, révision de la Constitution. Si les parlementaires le maintiennent au pouvoir, s’ils éprouvent très sincèrement cette allégresse qui, depuis le commencement du repas, met ce soir-là sur cette réunion de banquiers, de