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LES DÉRACINÉS

craindre du césarisme — qui, dans l’état, est notre seul danger, — tant que la France, par doute de ses forces ou par amour de ses aises, exigera la paix.

Et quelqu’un, par une erreur fréquente, ayant paru confondre le rôle d’un César avec les destinées de la famille Bonaparte, Bouteiller laissait tomber, toujours de haut, en professeur :

— Ce qui constitue un César est en lui et ne peut être héréditaire. Un César intervient comme une nécessité dans l’instant où il n’y a plus de tradition ; il ne peut en créer une. La République n’a rien à redouter du bonapartisme ; tout, du césarisme.

On échangeait des renseignements qui semblaient alors d’ordre banal et dont chaque détail devait entrer dans l’histoire financière, parlementaire et judiciaire :

— Une bonne nouvelle, messieurs les directeurs de journaux ! disait le baron de Reinach : il serait possible que d’ici quelques mois la Compagnie de Panama émît pour 129 millions d’obligations.

— Il y aura un syndicat ?

— Bien entendu ! En outre, on étudie une combinaison nouvelle de titres à option. Nos amis seront contents. MM. Charles de Lesseps, Marius Fontanes, Martin, demeureront chargés des mesures à prendre pour la réussite de l’émission. M. Lévy-Crémieux sera à la tête du groupe des syndicataires ; enfin moi-même, dorénavant, je m’intéresse à la Compagnie et je chercherai toujours à faciliter ses relations avec mes amis.

On se répandit longtemps en éloges, dont la sincérité était évidente. Si l’on excepte quelques banquiers et des théoriciens de finances, qui, d’ailleurs,