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« LA VRAIE RÉPUBLIQUE »

— Il me semble vous avoir vu chez M. Sturel ? Il habite toujours au même endroit ? Que fait-il ?

— Il tâche d’épouser une petite fille, Hélène Alison.

Il parlait au hasard, mais son désir de porter un coup à la questionneuse le servait assez heureusement. Elle ne fit rien paraître.

— Je connais cette demoiselle : c’est une bonne petite, dans son espèce, mais c’est un ridicule pour M. Sturel de penser déjà à se procurer des enfants. Mouchefrin s’attardait, fort déçu par cet accueil. Elle s’étonna de s’être intéressée à un garçon qui avait des amis aussi laids que ce nain. Elle lui tendit la boite de cigarettes :

— Tenez ! voilà une petite provision… Peut-être avant de fumer, vous voudriez déjeuner ? On va vous servir… Vous n’avez pas faim ?… Eh bien ! à l’occasion, prévenez M. Sturel de mon retour ; et puis vous m’apporterez sa réponse.

Le petit homme sortit enragé de cette conclusion. Il était venu pour plaire ; on l’avait traité à peu près comme le facteur à qui, dans les fermes de Lorraine, on offre un verre de vin. Néanmoins, il se rendit chez Racadot pour se vanter.

Il le rencontra qui courait au Café Voltaire, à un rendez-vous de toute la bande pour l’organisation du journal. Il se plaignit qu’on ne l’eût pas convoqué.

— Est-ce que Foyot soumet la carte aux clients à qui, sur le trottoir, chaque matin, il distribue ses restes ? — lui expliqua grossièrement, mais avec amitié tout de même, Racadot.

La crainte de risquer son argent le rendait bilieux et, d’ailleurs, il aimait à jouer les dompteurs. Au Voltaire, deux minutes plus tard, devant Rœmers-