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LES DÉRACINÉS

— Dites cela aux directeurs de journaux.

— Mais je le leur dirai !… Êtes-vous chasseur ? Il faudra que vous veniez avec certains d’entre eux tirer un perdreau à Nivilliers.

Deux jours après, Racadot, qui comptait bien sur une forte mensualité, se présenta chez M. le baron de Reinach. Une façon de secrétaire le reçut et, dès les premiers mots, renversa le pot au lait.

— Monsieur le baron est occupé.

— Quand pourrais-je le voir ?

— M. de Reinach est très pris !… Je crois qu’il va s’absenter. Si vous le jugez à propos, je puis me charger de votre communication.

— Je voudrais voir le patron ! — continua Renaudin avec une grossièreté qu’il croyait utile.

— On vous dit qu’il ne reçoit pas ! — répliqua du même ton le commis en se levant pour le reconduire.

— Soit ! — cria Racadot avec l’expression d’un chien auquel on retire sa pâtée. — La Vraie République s’expliquera sur M. Jacques de Reinach.

— Monsieur, je ne traite pas les questions personnelles ; mais je vais chercher la police quand on fait du scandale.

Racadot conta la scène à Renaudin, qui rit longtemps de son rire en u et sans chaleur. Qu’on fit du tapage au financier, cela lui semblait bien drôle. Il différa quelques jours de fournir à Racadot les éléments d’une campagne, puis l’en dissuada : « Il vaut mieux, disait-il, quand on est le plus faible, donner l’exemple de la courtoisie. » La Vraie République fit sa paix avec le baron de Reinach en mentionnant une chasse où avaient pris part Bouteiller, Renaudin et des grands journalistes.