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LES DÉRACINÉS

Gallant de Saint-Phlin seul leva la main. Quelques-uns, soit par servilité, soit sous l’action du speech de M. Bouteiller, le huèrent. Mais le maître les fit taire.

— Monsieur Gallant de Saint-Phlin a usé de son droit absolu. Je lui demanderai seulement de nous dire, s’il le veut bien, le motif de sa protestation, qui, je le constate, est unique.

Gallant, debout, comme c’était la coutume pour réciter la leçon et, très intimidé, sa petite figure jaune et pâle un peu animée de rouge, dit :

— J’ai pensé que l’on pourrait envoyer à Paris le professeur que l’on nous destine, de sorte qu’ici rien ne serait changé.

L’argument, quoique présenté sans aplomb, portait avec lui une telle évidence que chacun en eût été gêné, sans M. Bouteiller qui répondit de sa belle voix grave :

— Je suis touché du regret que vous exprimez de mon départ, monsieur Gallant de Saint-Phlin, mais, croyez-moi, c’est nous qui avons raison, et contre un devoir il ne faut pas subtiliser ; il ne faut jamais non plus que nos préférences personnelles interviennent contre ce qui porte un caractère d’utilité générale. Rappelez-vous le principe sur lequel nous fondons toute morale. Combien de fois nous l’avons formulé ! C’est d’agir toujours de telle manière que notre action puisse servir de règle. Il faut se conformer aux lois de son pays et aux volontés de ses supérieurs hiérarchiques. J’irai donc à Paris, où m’appelle M. le ministre de l’instruction publique. Je vais vous quitter, la vie ne nous séparera pas ; je ne perdrai de vue aucun de vous ; je vous suivrai