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LES DÉRACINÉS

« … J’ai trouvé ici un étrange claque-patins ; c’est un paysan qui a fait des études et qui est venu à Paris. Certainement sa mère aura cédé dans son pays à quelque kobold ou chercheur de trésors dont il est le fils, car il passe son temps à chercher des piécettes. Malheureusement, madame sa mère a tout à fait perdu la tête dans l’instant de son bonheur, et quand il fallait saisir la baguette de coudrier indicatrice. Il est domestique d’un journaliste et, par là, journaliste lui-même. Si vous demandez aux journaux, mon cher, les chances de succès du canal de Panama, la jolie femme à la mode, les sentiments intimes du Tsar, pensez que mon claque-patins vous renseigne.

« En moi, je crois qu’il n’apprécie que mes perles, mais il distingue dans ma femme de chambre la bonne odeur de la cuisine. Elle frissonne en lui tendant, de la même façon qu’aux ours et aux gros chiens des jardins zoologiques, des morceaux de viande, des verres de vin ; elle retire vite la main ; mais, à ses yeux, on voit bien que ce n’est pas la main qu’il lui prendrait…

« — Rose, lui ai-je dit, songez, ma fille, que ce n’est pas une belle espèce à propager. Je la crois déjà nombreuse ici.

« Il m’a fait voir son « patron », le propriétaire de son journal, un moujik lettré, lui aussi, mais, celui-là, un bourru tout à fait dénué de grâce. Au moins, mon Mouchefrin a-t-il cette vulgarité agréable, à la française, qui, dans tous les pays, distrait les femmes.

« Ces messieurs, qui ont des relations dans la police, m’ont présenté un certain nombre de voleurs