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QUINZE JOURS DE CRISE

— Couche-toi ! lui dit rudement Racadot.

Il éteignit. Au bout d’une demi-heure, il alluma de nouveau. Sa figure était terreuse, ses yeux cernés d’une façon épouvantable. Sous quelle impulsion écrivait-il les excuses suivantes ?

« Pardonne-moi, mon cher père, les lettres que je t’ai écrites, mais, ennuyé de toutes parts comme je le suis, cela vous change les idées. Pour le 21 au matin, j’attends donc ta lettre avec la somme que je t’ai demandée. Pense à moi, mon cher père. Je n’ai que deux choses à choisir : le déshonneur ou la mort, si tu ne satisfais pas à ma demande. »

Tant d’insistance et cet effort pour se rattacher à son protecteur naturel aboutirent à une réponse, définitive et qui durement coupait tout espoir :

« Je suis bien désolé de ta position, quoique tu me dises que j’ai l’air d’être joyeux. Tu te trompes : j’ai beaucoup de peine, car un homme prudent chercherait à voir clair dans mes intérêts, sans me dire des injures comme tu m’en as dit. Tu veux de l’argent et je peux t’en trouver ?… Mets-toi donc à ma place. Tu ne t’occupes que de prendre et point de rembourser. Viendras-tu donc payer pour moi ? Je n’ai jamais vu chose pareille ; je crois que tu veux me faire perdre la tête. C’est ridicule, ton affaire ; il faut que tu sois en relations avec des canailles. Au fait, je veux vivre sans souci de rien, parce que j’ai été demander de l’argent à un ami et que j’ai vu comme il me recevait ; je ne suis plus d’un âge à supporter qu’on me rebute. »