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LA MYSTERIEUSE SOIREE DE BILLANCOURT

Leur course avec les vêtements qui battent l’air ! Cet appel immense et puis des plaintes !… « Chien ! » dit-elle d’une voix époumonnée, quand rejointe et se retournant elle vit, le bras levé, et tout lancé en avant, Racadot avec ses yeux ronds et rouges dans un visage que la peur faisait implacable… Qu’il y en a déjà eu de ces appels d’assassinés et qui sont allés Dieu sait-où ! L’horreur profonde, c’est que ce spectacle est tout à fait exaltant ! Les hommes aiment à mordre, et de désir leur bouche se dessèche devant les choses effroyables.

La frénétique action ! Oh, la pire débauche ! Dans sa pleine énergie et capable de susciter encore la pleine énergie, elle roule à terre sous le marteau brutal qui lui brise une tempe et souille le lophophore vert et bleu. C’est Racadot qui frappa ; Mouchefrin la tenait par son petit cou qu’il était heureux de toucher. Ah ! malheureuse ! Bête de luxe, elle a irrité de désirs leur sang, avec son corps dédaigneux. Elle est tuée par deux pauvres, qui sont aussi des mâles orgueilleux. Ces deux caractères, quand ils ne s’excluent pas, constituent une espèce des plus dangereuses.

Les gémissements qui se prolongèrent pendant une dizaine de minutes, malgré le dur genou de Racadot, ne doivent pas être tenus pour un témoignage de la sensibilité propre d’Astiné Aravian ; il faut y reconnaître le murmure commun à toute âme qui s’enfuit. Ils ne révèlent pas plus notre vrai moi que certaines énergies partielles qui survivent dans l’organisme à la destruction de l’énergie principale : les battements du cœur qui persistent après la mort ne peuvent plus renseigner sur notre conscience