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LES DÉRACINÉS

un sentiment national auquel on enlève ses assises terriennes et géniales.

Cet excitateur qui prétendait pour le plus grand bien de l’État effacer les caractères individuels, quitte Nancy ayant créé des individus dont il fait seul le centre et le lien. Ces lycéens frémissants dans sa main, on peut les comparer à ces ballons captifs de couleurs éclatantes et variées, que le marchand par un fil léger retient, mais qui aspirent à s’envoler, à s’élever, à se disperser sans but.

Dans la récréation qui suivit cette dernière classe, Sturel, Suret-Lefort, qui copie les attitudes de Bouteiller, Racadot, Mouchefrin, Saint-Phlin, le fûté Renaudin, Rœmerspacher le sage, délaissèrent leurs compagnons habituels, formèrent un groupe très animé et que leurs condisciples se montraient avec envie ou admiration. Plus spécialement doués pour le bien et pour le mal social, sans que nous puissions préciser si cette valeur procède du sang ou de la condition, ces enfants passent de la tête leurs contemporains et deviendront des capitaines, tandis que le surplus, marqué par le régime du lycée, se confondra dans la vaste vie qui sait faire des galets avec les quartz les plus durs… Ces sept jeunes gens notables, c’est-à-dire chez qui les impressions peuvent prendre une forme individuelle et les idées développer toutes leurs conséquences, ayant été distinguées et préférées ensemble, se sentent par là réunis. Chaque jour désormais, jusqu’à la fin de l’année, sitôt les rangs rompus, ils se retrouveront. Entre eux est une association.

De tels groupements sont fréquents. Les sorcières