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DANS LEURS FAMILLES

tement Renaudin qui demeure et demeurera, avec tous ses cynismes acquis, le petit Alfred, le fils du « rat de cave » élevé chichement dans trois chambres glacées.

Pour jouir de sa fortune, le reporter se tournait vers la Lorraine ; il excitait ses amis à le rejoindre. Bien qu’il en crût, il n’avait pas encore le ton parisien, il n’appréciait pas la psychologie, si fort à la mode en 1880 ; sinon, il aurait pu leur écrire : « Le premier acte de Bouteiller, à Nancy, fut de m’expulser, parce que j’avais ri quand il parlait de ma dignité morale ; son premier acte à Paris vient d’être précisément une atteinte à ma moralité. Serait-ce que les sectaires deviennent aisément des hypocrites, qui couvrent de leurs principes leurs combinaisons personnelles ? Ne serait-ce pas plutôt que cette formule qu’il nous a tant de fois répétée : « Agis toujours de telle sorte que ta conduite puisse servir de règle » est moins certaine qu’il ne croyait ? Je l’ai vu embarrassé de choisir s’il valait mieux respecter une âme ou s’il valait mieux servir l’État. »

Sturel et Saint-Phlin furent dispensés du volontariat comme fils aînés de veuve ; on ajourna Renaudin, pour constitution débile, tandis qu’on acceptait ce gnome de Mouchefrin. Avec lui, Rœmerspacher, Racadot et Suret-Lefort furent soldats.

Le service militaire devrait être une école de morale sociale ; on sait ce qu’il est, par manque de sous-officiers. Les jeunes Lorrains n’en rapportèrent que des notions sur la débauche et l’ivrognerie : rien qui pût se substituer à l’influence de Bouteiller. Dans un âge où l’on a besoin de beaucoup s’assimiler, l’image