Page:Barrès - Les Déracinés.djvu/77

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
67
LEUR INSTALLATION À PARIS

vateur ; elle respectait les opinions des pensionnaires : elle fit signe qu’on n’insistât point. Toutefois, parce qu’elle aurait pu être sa mère et qu’elle aimait à le voir tout frémissant :

— Monsieur Sturel, interrogea-t-elle, jeudi vous êtes parti ; vous nous resterez ce soir, n’est-ce pas ? Le jeudi était le grand jour de la villa. Il y avait réception et souvent on dansait. Des jeunes gens venaient du dehors, introduits par quelque pensionnaire ; à leur tour, ils amenaient des camarades.

Sturel contraria madame de Coulonvaux en répondant qu’il devait sortir.

— Mais enfin, si ces dames vous demandent de les faire danser ?…

— Je ne sais pas danser.

« Voilà, se dit la maîtresse, un petit être du commun. » Et l’accent de sa réplique trahissait de la condescendance :

— On vous apprendra. C’est l’affaire de quatre leçons. La danse est nécessaire à vingt ans, comme le whist à trente.

— Je trouve la danse fort ridicule, — déclara Sturel qui craignit d’être protégé.

Son âpreté lui enleva toutes les sympathies qu’il venait de conquérir.

Ce jeune homme, qui n’avait pas encore aimé et chez qui les moindres incidents, grandis par une imagination incomparable, suscitaient immédiatement une émotion de toute l’âme, était incapable de l’indifférence ou de la frivolité qu’il faut pour une simple conversation. Bien que ses efforts contre sa timidité lui maintinssent un air glacé et cette carnation égale et bleuie, où Cabanis voit l’annonce des