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LEUR INSTALLATION À PARIS

n’as pas daigné regarder l’enterrement de Gambetta !…

— C’était splendide ! jeta la Léontine.

— Tout le monde peut voir un spectacle parisien, mais encore faut-il savoir le lire, — continua Renaudin, du ton dédaigneux d’un « Parisien » qui rentre dans son village. — Les amis du mort tiendront encore la république pendant des années. Les serments qu’ils avaient échangés aux dernières années de l’Empire, ils viennent de les répéter. Quelles circonstances faudra-t-il, quelles luttes, où des concours leur seront nécessaires, pour qu’ils autorisent une nouvelle génération à entrer dans leur pacte ?

— Eh bien ! moi ! dit Mouchefrin, je vous affirme que Bouteiller sera député avant cinq ans.

— C’est qu’il se sera domestiqué pendant quatre !… Comprenez-moi. Je ne vous raconte pas que les amis de Gambetta refuseront des stagiaires ; je vous explique qu’ils garderont jalousement les emplois. Député ! c’est le titre de cinq cent quatre-vingts personnages, mais peut-on compter cinquante vrais députés, cinquante qui soient initiés aux moyens du parlementarisme ?

— N’y a-t-il pas quelque part, dit Suret-Lefort, d’autres serments qui se prêtent ?… une formule nouvelle ?… À ce pacte vieilli dont tu parles, pourquoi ne pas opposer une ligue toute neuve ?

Le jeune intrigant devinait qu’à prendre la filière on piétine trop longtemps, et qu’il est plus profitable de se faire craindre par des attaques de front, parce qu’une influence politique est toujours une valeur d’échange.