Page:Barrès - Les Traits éternels de la France, 1916, Émile-Paul.djvu/30

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Mon régiment arrivait d’un secteur tranquille de l’Aisne, où nous avions fait peu de pertes. La veille, nous venions encore de recevoir un renfort de la classe 15. On nous avait tout habillés de neuf. Nos uniformes d’azur n’avaient pas eu le temps d’être ternis par la boue, la poussière et la pluie ; nous débordions d’enthousiasme ; nos colonnes, aux cadres complets, avec un officier ou aspirant à la tête de chaque section, allongeaient fièrement leurs trois mille deux cents hommes sur la route. On nous avait dit que nous nous dirigions vers un coin sacré, où tous les yeux étaient tournés. La trouée tant rêvée avait été, quelques heures, virtuellement faite, grâce à l’héroïsme inouï des divisions « de fer » et « d’airain ». Nous allions relever ces troupes et, en montant aux tranchées par le plus beau crépuscule, nous nous demandions avec un peu d’inquiétude si nous serions à la hauteur de pareils héroïsmes, car une telle succession est lourde. Et soudain, voilà que sur la route,