Page:Barrès - Les Traits éternels de la France, 1916, Émile-Paul.djvu/35

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« La tranchée est pleine de cadavres français. Du sang partout. Tout d’abord, je marche avec circonspection, peu rassuré. Moi seul avec tous ces morts !… Puis, peu à peu, je m’enhardis. J’ose regarder ces corps, et il me semble qu’ils me regardent. De notre tranchée à nous, en arrière, des hommes me contemplent avec des yeux d’épouvante, dans lesquels je lis : « Il va se faire tuer ! » C’est vrai qu’abrités dans leurs boyaux de repli, les Boches redoublent d’efforts. Leurs grenades dégringolent et l’avalanche se rapproche avec rapidité. Je me retourne vers les cadavres étendus. Je pense : « Alors, leur sacrifice va être inutile ? Ce sera en vain qu’ils seront tombés ? Et les Boches vont revenir ? Et il nous voleront nos morts !… » La colère me saisit. De mes gestes, de mes paroles exactes, je n’ai plus souvenance. Je sais seulement que j’ai crié à peu près ceci : « Holà, debout ! Qu’est-ce que vous f… par terre ? Levez-vous et allons f… ces cochons-là dehors ! »