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Page:Barzaz Breiz 4e edition 1846 vol 2.djvu/280

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C’était la veille de la fête de Notre-Dame du Porzou, si vénérée dans les montagnes Noires. Plusieurs des pèlerins, accourus à grandes journées de toutes les parties de la basse Bretagne, se trouvaient réunis, à table, dans une métairie, au fond de la vallée, où ils devaient passer la nuit. J’y fus conduit par un jeune paysan de mes amis, neveu des métayers. La conversation roulait sur le temps passé, la dureté des impôts, la misère présente, et était fort animée.

Le souper fini, les pèlerins quittèrent la table ; douze d’entre eux sortirent, et, passant la rivière, ils gravirent la montagne opposée, au sommet de laquelle s’élève la chapelle patronale, et allèrent danser aux chansons, suivant la coutume, sur le tertre, jusqu’à la nuit. Le lieu et l’heure eussent été choisis à dessein qu’ils n’eussent pas mieux convenu aux sentiments sous l’impression desquels les avait laissés leur conversation. Derrière eux, la chapelle aux murailles blanches, avec son cimetière sombre, ses tombes au milieu des herbes, ses mille petites croix en bois noir, ses grands ormeaux pleins de mystère et d’ombre ; son reliquaire isolé, aux ogives festonnées de lierre, dont les vertes draperies, légèrement soulevées par le vent, laissent entrevoir les os vénérés des ancêtres ; au fond de la vallée, le pont, aux parapets duquel s’appuyaient des mendiants assis dans la poussière, étalant a l’œil des passants leurs plaies ou leurs membres difformes ; la rivière, comme eux plaintive, baignant d’un côté la montagne, de l’autre des prairies bordées d’un sentier serpentant, comme un long ruban de satin blanc, au milieu du gazon ; au loin, pieds nus, le bâton à la main, dans les costumes les plus variés de couleur et de forme, des pèlerins harassés de fatigue, se découvrant le front et s’agenouillant aussitôt qu’ils voyaient les murs blancs de la sainte chapelle apparaître à travers les arbres ; pour horizon enfin, la chaîne arrondie des montagnes Noires, dont le soleil couchant dorait le pic le plus élevé, couronné de bois sombres, en colorant au loin, de ses derniers rayons, les eaux fuyantes de la rivière.

Ce soleil près de disparaître, image d’un autre soleil qui se couche aussi, lui, pour ne plus se lever ; cette terre sacrée qu’ils foulaient, ces tombes des aïeux morts le fer à la main, cette nature triste et sublime parlait-elle au cœur des montagnards, ou leur émotion venait-elle seulement de la conversation animée à laquelle ils avaient pris part ? Je ne sais, mais elle était forte ; et, comme toutes les grandes passions des races primitives, elle se traduisit