Page:Bashkirtseff - Journal, 1890, tome 1.pdf/49

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
46
JOURNAL

Ô supplice ! Je ne puis rien faire, je ne puis rester tranquille. Il n’y a pas de paroles au monde pour dire ce que je sens ; mais ce qui me domine, m’enrage, me tue, c’est la jalousie, l’envie ; elle me déchire, me rend enragée, folle !… Si je pouvais la faire paraître ! mais il faut la dissimuler et être calme, je n’en suis que plus misérable. Lorsqu’on débouche du champagne, il mousse et se calme, mais lorsqu’on entr’ouvre seulement le bouchon pour faire mousser, pas assez pour calmer !… Non, cette comparaison n’est pas juste, je souffre, je suis brisée !!!…

J’oublierai sans doute, avec le temps !… Dire que mon chagrin sera éternel, serait ridicule, il n’y a rien d’éternel ! Mais le fait est qu’à présent je ne peux penser à autre chose. Il ne se marie pas, on le marie. Ce sont des machineries de sa mère. (1880.) Tout ça pour un monsieur que je ne connais pas et qui ne sait pas que j’existe.) Oh je le déteste ! je ne veux pas, je veux le voir avec que j’ai vu une dizaine de fois dans la rue, elle ! Ils sont à Bade, à Bade que j’aimais tant ! Ces promenades où je le voyais, ces kiosques, ces magasins !…

(Relu tout cela en 1880, ça ne me fait plus rien.)

Aujourd’hui, je change dans ma prière tout ce qui a rapport à lui, je ne prierai plus Dieu pour être sa femme !…

Me séparer de cette prière me semble impossible, mortel ! je pleure comme une bête ! Allons ! allons ! ma fille, soyons raisonnable !

C’est fini, eh bien ! c’est fini. Ah ! je vois maintenant qu’on ne fait pas ce qu’on veut !

Préparons-nous au supplice de changer de prière.