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JOURNAL

mes petites misères, et à présent, j’ai beau chercher, regarder, tâter, je ne trouve que le vide et l’obscurité. C’est affreux ! affreux ! lorsqu’on n’a rien au fond de l’âme…


Mardi 21 octobre. — Nous rentrons, on dîne déjà, et nous recevons un petit savon de maman pour avoir mangé avant dîner. La charmante vie de famille s’agite. Paul est grondé par maman ; grand-papa empêche maman, il se mêle où il n’a rien à faire et par cela anéantit le respect de Paul pour maman. Paul s’en va, barbotant comme un domestique. Je vais dans le corridor pour prier grand-papa de ne pas empêcher l’administration et de laisser maman faire ce qu’elle veut. Car c’est un crime de soulever, par manque de tact seulement, les enfants contre leurs parents. Grand-papa s’est mis à crier ; cela m’a fait rire, toutes ses bourrasques me font toujours rire et me font ensuite pitié pour tous ces malheureux qui n’ont pas de malheurs et qui se martyrisent à force de ne rien faire. Mon Dieu, si j’avais dix ans de plus ! surtout si j’étais libre ! Mais comment faire quand on a les pieds et les mains liés par des tantes, grand-papa, les leçons, les institutrices, la famille ?… Quel bataclan, mille trompettes…

Ma douleur n’est plus aiguë, effarouchée et inattendue ; mais elle est lente, calme et raisonnable ; elle n’est pas pour cela plus faible.

Non ! non !… il ne me reste que le souvenir et, si je le perds, je serai bien malheureuse !…

Je parle d’un style si fleuri que cela devient bête ; et dire que je ne lui jamais parlé, je l’ai vu dix ou quinze fois de près et puis de loin ou en voiture ; mais j’ai entendu sa voix et je ne l’oublierai jamais ! Plus je dis, plus