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JOURNAL

calomnieuse au pėre, à Poltava ; mais en ce moment Rosalie est venue me dire de ne pas compter sur Champeau (une petite qui me fait des robes quelquefois) qui a la fièvre typhoide ; ses ouvrières sont parties, elle est toute seule ; alors, j’ai eu une idée. J’ai déchiré la dépéche et j’ai envoyé les 20 francs à cette femme.

Il n’y a pas de sensation plus agréable que celle de faire du bien qui ne vous rapporte rien. J’irais bien la voir, je ne crains pas le typhus, mais j’aurais l’air de chercher des remerciements, tandis que si je ne lui envoyais pas cette misère à l’instant, je pourrais les dépenseret puis… avouons-le, cela ne me causerait plus un plaisir si vif. Voilà que je me sens d’une charité inépuisable. Aller soulager les misères des autres, quand personne au monde ne soulage les miennes. Cela serait assez chic ; qu’en pensez-vous ? Samedi 15 mars. Si Robert-Fleury, nommé Tony en son absence, me gronde aujourd’hui, je ne fais plus de peinture. Vous savez ce que mes progrès m’ont valu d’envie et surtout de désagrément. Chaque fois que cela cloche, on a l’air de s’écrier : Je vous le disais bien, ça ne pouvait pas durer ! Mes premières toiles m’ont valu des compliments et puis je suis entrée dans une passe difficile et je sentais trop de satisfaction autour de moi pour ne pas en souffrir assez fort. Ce matin, j’attendais cette leçon comme quelque chose d’épouvantable, et pendant que cet animal de Tony corrigeait les autres et se rapprochait peu à peu de ma place, je récitais des prières avec une ferveur que le ciel a appréciée, car on a été content de moi. Grand Dieu, quel poids m’est tombé du ceur ! Vous n’avez peut-ètre pas idée de ces émotions-là ? Figurez-vous ce silence où je sen-