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DE MARIE BASHKIRTSEFF.

D’un côté, maman désolée de partir et moi assommée de rester avec ma tante, une superstition bète. Ét, d’un autre côté, ma tante qui n’a que nous, que moi au monde et qui ne dit rien, mais qui est blessée au ceur de voir que je souffrirais de rester avec elle. Je suis à bout de forces, je reste là tout le jour sans desserrer les dents pour ne pas pleurer, la gorge étranglée, des bourdonnements dans les oreilles et une drôle de sensalion comme si les os allaient percer la chair qui s’en va. Et cette pauvre tante qui voudrait que je sois contente et que je parle, et que je reste avec elle. Je vous dis que je suis à bout de forces, que je ne crois à rien et erois tout possible. Ni rester ni partir ne me valent rien, mais il me semble qu’on restera moins longtemps avec moi, Du reste, je ne sais rien. C’est la mention ou la médaille de Breslau qui me fait partir. Ah ! je n’ai de chance en rien ! Il faudra donc mourir misérable. Moi qui croyais et priais tant… Donc, après les tiraillements les plus émouvants du monde, voilà le départ fixé à samedi. Lundi 16 mai. – J’ai été voir Julian et nous avons causé longtemps et sérieusement. Il dit que je fais une sottise en allant en Russie : —— Les médecins vous envoient dans le Midi et vous partez dans le Nord. Il m’a dit des choses si sages, si sensées que je suis plus qu’ébranlée. Et pour que je ne pense pas que c’est une question de boutique, il m’envoie hors de Paris travailler à la campagne, où il fera chaud et où je serai enveloppée d’air et de soleil toute la journée. Il faut donc que je fasse un grand paysage, l’été, avec des figures, et l’hiver je ferai un tableau d’atelier ; cela me fera deux envois très différents. Et que je ne marche à la queue de personne, ni de —