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JOURNAL

Ah ! quelque chagrin que l’on éprouve, il renferme une jouissance. J’avais bien raison ; il n’y a d’atroce que les douleurs d’amour-propre, celles-là ne renferment rien et sont pires que la mort. Mais tout le reste ? Ah ! Dieu, mort, désespoir d amour, ab-, sences ! C’est la vie quand mėme. Me voilà sur le point de pleurer, je crois même que je vais mourir, je suis presque sûre que je suis affaiblie. Ah ! je ne me plains pas de cela, mais de mes oreilles ! Et puis, Breslau à présent ; mais Breslau, c’est un accablement de plus. Partout repoussée avec perte, battue. Eh bien, la mort alors ! Mardi 9 août.

J’ai été chez le docteur ce matin ; voilà la troisième fois depuis quinze jours. Il me fait revenir pour avoir un louis chaque fois, car le traitement est toujours le même à suivre. Vraiment, c’est à en devenir folle. Sur mille cas, m’at-on dit, la surdité arrive une fois, et c’est justement moi ! Tous les jours on voit des malades de la gorge, des poitrinaires qui souffrent, qui meurent, mais qui ne deviennent pas sourds. Ah ! c’est un malheur si inattendu, si horrible ! Quoi ! ce n’était pas assez de tout ! que je perde la voix, que je sois malade, il fallait encore ce supplice sans nom ! Ça doit élre pour me punir d’avoir crié pour des niaiseries. C’est Dieu qui punit ? Le Dieu du pardon, de la bonté, de la miséricorde ? Mais le plus méchant des hommes ne serait pas plus inexorable !

Et je suis torturée à tous les instants. Rougir devant les miens, sențir leur complaisance à parler plus fort ! Dans les magasins, trembler à chaque minute ; là, ça se passe encore ; mais avec les amis, toutes les ruses que j’emploie pour cachher mon infirmité, non, non, non,