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JOURNAL

corps, Bref, ça et le reste me rend folle ; j’ai la main qui tremble pour écrire. A peine ai-je une idée que je l’ai en dégoût. Il n’y avait que ce tableau et j’ai perdu tant de jours, et me voilà encore indécise. Diable de caractère ! quand je suis libre de faire ce que je veux, je ne sais plus que faire. C’est ma maladie qui me rend idiote, et la mention honorable de Breslau me coupe les bras. Le ciel est juste. Je me demande… C’est que ce tableau, Julian et les autres disent que ce n’est ni neuf, ni original ; d’accord, du reste, je n’en sais rien. C’est actuel toujours, et puis, si c’est bien exécuté, ce sera toujours bien. Et il faut encore que je sache si Alexis sera ici dans le courant d’août ; il pose le gommeux et sans lui pas de tableau, et je n’ai pas encore trouvé le vieux monsieur à la serviette. Tout ça ne serait rien, si j’étais décidée et en train. Et je perds mon temps et j’use mes yeux à lire pour me calmer. Enfin, plus moyen de porter mes hésitations à qui que ce soit, Tony en Suisse, Julian à Marseille. Et moi au diable ! Sitôt que je décide quoi que ce soit, une voix me dit… Enfin, quoi que je fasse, je ferai toujours à mon désavantage. Sije renonce au tableau, quelque autre le fera et j’en aurai un dépit mortel ; si je le fais, je le ferai en m’y prenant mal, il pleuvra et j’ai déjà vingt jours. Tout ce que je pourrai faire sera certainement le contraire de ce qu’il aurait fallu faire ; donc, il faudrait n’avoir plus souci de rien. Aussi, vous me voyez. Ah ! qu’il est affreux d’en étre là ! J’ai des cheveux blancs ; un jour j’en ai trouvé près de deux sur le devant, c’est depuis qu’il me semble que je deviens sourde… Est-ce assez horrible ! Oh maintenant… au moins ça coupe court à mes récriminations ; je n’ai rien, d’accord ; mais aussi je ne suis plus bonne à rien. Vie de salon, politique, plaisirs