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DE MARIE BASHKIRTSEFF.

rever, il faut donc que cela soit possible… Bref, voilà bien cinq mois que j’y réve.. J’ai l’air de divaguer, mais tout s’enchafne. L’étude de chez Lorenzo peut faire un tableau. Jeudi 27 octobre.

O bonheur i j’ai quitté l’affreuse Séville.

Je dis d’aulant plus « affreuse » que je suis à Grenade depuis hier soir, que nous sommes en courses depuis ce matin, que j’ai déjà vu l’inévitable cathédrale, le Généralife, une partie des caves des bohémiens. Je suis dans l’enthousiasme. A Biarritz et à Séville, j’avais les bras coupés, tout semblait fini, mort. Pendant les trois heures que j’ai passées à Cordoue, j’ai eu l’im. pression d’une ville artistique, c’est-à-dire que j’y aurais travaillé avec un entrain parfait. Quant à Gre. nade, il n’y a qu’un malheur, c’est de ne pouvoir y rester six mois, un an. On ne sait de quel côté courir, tellement il y a des choses à faire. Des rues, des silhouettes, des vues !

On devient paysagiste ; mais alors apparaissent ces typės étranges et intéréssants aux couleurs éclalantes et si harmonieusement chaudes. Mais ce que j’ai vu de curieux, c’est le bagne de Grenade, la prison où travaillent les forçats. Je ne sais comment m’est venue cette fantaisie, et cerles je ne la regrette pas, bien qu’on sorte de là avec les tempes serrées comme après la course de taureaux. Le commandant de

nobles étrangères et on nous a fait tout visiter. Un gardien marchait devant, et nous étions flanquées de six caporaux choisis parmi les plus braves des criminels, armés de bâtons et chargés du service de l’ordre. Je ne .saurais’décrire l’impression causée par ce troupeau prison a tout de suite accédé au désir des