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JOURNAL

ayant fini, j’inscris sur le mur : « Ici a travaillé Andrey, 1881. » Seulement l’ombre du côté droit de l’étude est d’un ton trop chaud, ce qui enlève de l’éclat à la lumière, et j’en suis désolée ; savez-vous qu’il fait froid et que j’ai eu les doigts engourdis, au point d’être obligée d’aller me chauffer au soleil ? Voilà qui ne m’encourage pas à rester ici, puisque je ne puis travailler en plein air ; pourquoi me morfondre ici, m’ennuyer cruellement le soir, ne pas dormir sur ces lits d’une dureté infame et ne manger par jour qu’un potage avec un morceau de viande, en y ajoutant une tasse de café le matin ? C’est que je voudrais bien rapporter au moins une bonne étude…

Dimanche 30 octobre. — J’ai passé toute la journée chez les Gitanes, et pour ne rien faire. Il fait un temps glacial, j’ai eu la figure gercée de froid, la toile couverte de sable et de poussière ; en somme, rien fait. Mais quelle mine précieuse pour les artistes ! Rester là tout un jour, surprendre ces attitudes, ces groupes, ces effets de lumière et d’ombrel D’abord, ils sont très bienveillants avecles étrangers, parce que les Espagnols les méprisent. Il faudrait venir pour deux ou trois mois et faire des études tous les jours, et il en resterait toujours à faire. Je suis folle de ces types Gitaneș. Ils ont des poses, des mouvements, des attitudes d’une grâce si naturelle et si étrange. On ferait là de merveilleux tableaux. Les yeux s’enfuient dans toutes les directions, comme on dit en russe, tout est tableau. C’est enrageant d’être venue si tard ; mais, małgré la meilleure volonté du monde, on ne peut travailler ; le vent de la montagne couverte de neige est perçant, on n’y peut tenir. Mais que c’est beau, que c’est beau, que c’est beau ! Lorsque je me suis installée pour travailler, ils