Page:Bashkirtseff - Journal, 1890, tome 2.pdf/366

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée
361
DE MARIE BASHKIRTSEFF.

Mardi 9 mai. Tony et Julian dinent ici. Je me mets en toilette fantastique et la soirée se prolonge jusqu’à onze heures et demie. Julian est très drôle après le champagne et Tony très gentil, très sobre, très calme avec sa belle tête fatiguée. On a envie de remuer cette åme qui a l’air tendre et mélancolique, tout en demi-teinte. Je ne me figure pas ce professeur envahi par des sentiments accentués ; il est logique, il est calme et, s’il s’agissait de choses du ceur, il vous en démontrerait la provenance et la cause posémen comme pour expliquerles valeurs d’un tableau. Somme toute, et pour nous résumer, comme il dit, il est charmant… C’est

le portrait de jeune fille par Sargent qui me hante ; il est ravissant. C’est une euvre exquise qu’on placerait volontiers dans un musée avec des Van-Dyck et des Velazquez.

Samedi 20 mai. Ahl je suis découragée. Qu’est-ce que je fais depuis que je suis à Paris ? Je ne suis même plus excentrique… Et en Italie, qu’ai-je fait ? Une fois, je me suis laissé embrasser en cachette par le stupide A… Eh bien ! apr ès ? Moi, ça me dégoûte ? Mais pas mal de jeunes filles l’ont fait et le font, et on n’en dit

d’horreurs. Je vous assure que lorsqu’il m’arrive pas

comme cela des bribes de ce que l’on dit de nous et de moi, j’éprouve de la stupeur, tellement c’est immense. Le procès a été désastreux, mais c’est fini. — Alors c’est autre chose, c’est moi qu’on attaque… Et lorsque, bien tranquille et seule dans ma chambre, au milieu de mes livres, après avoir travaillé huit ou dix heures, je songe à ce qu’on peut raconter de moi ; que je suis moralement arrachée de ce milieu sépulcral, déshabillée, commentée, défigurée ; qu’on me prête des M. B. — I.

31