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DE MARIE BASHKIRTSEFF.

Je n’ai pas ce courage et j’ai toujours l’espoir qu’on ne s’apercevra pas.

Vous savez, je tâche de faire des phrases ici, mais je n’y crois pas… Il me semble que je parle d’une autre.. Et comment réaliser cette horrible cauchemar, cette chose épouvantable cruelle, atroce ?… en pleine jeunesse, en pleine vie ? Comment croire que c’est possible, que ce n’est pas un mauvais rêve, que c’est éternel ? Jeudi 23 novembre. Ce que je fais celte semaine est si mauvais que je n’y comprends rien moi-même. Julian m’a appelée chez lui et m’a dit des paroles si inutiles, si cruelles… si… Je ne le comprends pas ! L’année dernière, il me disait à peu près la même chose ; maintenant, en voyant les études de l’année dernière, il dit : « Vous n’en feriez pas autant à pré sent, c’était du bon travail. » A le croire, voilà trois ans que je ne fais plus rien, c’est-à-dire qu’il a commencé ses reproches et ses lamentations et ses petits sarcasmes, depuis que je peins, depuis trois ans. Il croit peut-être me pousser å travailler ; c’est le contraire : cela m’a anéantie, je suis restée pendant trois heures perdue, les mains incertaines et le feu aux bras.

L’été dernier, j’ai fait Irma qui rit, et tout le monde a trouvé cela bien. Cet été, après l’Espagne, après la maladie, j’ai fait un pastel que tout le monde a trouvé excessivement bien, et une peinture bien. Qu’est-ce qui s’est passé depuis ? J’ai raté mon pêcheur. Oui, et puis six semaines de vacancesje rentre,

je tombe sur un modèle immonde, une mauvaise place, je me force à travailler quand même, à contre ceur ; je fais une horreur que je gratte, que je salis ; j’essaye dans ce tas de peindre un bras, Julian arrive j’ai été en Russie —