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JOURNAL

grets attendris. Il était l’ami, le camarade intellectuel de toute cette génération, il était la République, Paris, la France, la jeunesse, les arts. Il me semble voir un morceau d’étoffe d’où le principal ornement a été enlevé, ne laissant qu’une marque et des fils coupés. Ah ! les fleurs, les couronnes, les marches funèbres, les drapeaux, les délégations, les honneurs, prodigueles lui, peuple impatient, peuple ingrat, peuple injuste

! C’est fini à présent. Enveloppez d’étoffe tricoIore 

la triste boite qui renferme les restes horribles de cette lumineuse intelligence. Vous êtes bien dignes d’honorer ce cadavre mutilé, vous qui avez empoisonné la dernière année de la vie de cette âme ! Tout est fini. Il n’y a plus rien que de petits hommes stupéfaits devant la fosse béante de celui qui les gênait tant par sa supériorité. Combien y en a-t-il qui se disaient tout bas que Gambetta les empêchait de se faire une place par son absorbant génie ! Elle est à vous la place, montrez-vous ? Médiocres, jaloux et nuls, sa mort ne vous transformera pas. Nous sortons de là vers trois heures. Tout le monde s’est porté à gauche. Les Champs-Élysées sont gris et déserts ; il y a si peu de temps encore cet homme s’y promenait si gai, si jeune, si vivant, dans cette très simple voiture qu’on lui a tant reprochée. Quelle mauvaise foi partout ! car les hommes intelligents, probes, instruits, français, patriotes, ne pouvaient pas, en leur âme et conscience, croire aux infamies dont on chargeait Gambetta.

On dit que son banc de député est déjà retenu par un insecte de la Chambre. Il n’y a donc là personne pour s’opposer à cette grossière injure à la mémoire de celui qui a illustré la tribune de celte Chambre, au perron jonché de couronnes, orné de lampadaires et