Page:Baudeau - Première Introduction à la philosophie économique.djvu/85

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Les uns donnent au serf qu’ils tiennent sous leur joug une portion de terre à cultiver pour ses propres nécessités. Il faut qu’il tire comme il peut sa subsistance et celle de sa famille du champ qu’on lui laisse labourer pendant certains jours de chaque semaine.

Tous les autres jours le serf doit travailler au profit de celui qui se dit son maître, sous les ordres d’un directeur qui l’emploie tantôt à des travaux champêtres et productifs, tantôt à des services purement domestiques, à des voitures ou à des fabrications de l’art stérile.

Cette forme est en usage dans quelques-unes des Colonies Amériquaines, elle est presque universelle dans le Nord [154] de l’Europe, avec cette singularité que le paysan serf est encore obligé de rendre annuellement en argent ou en nature, une portion des fruits qu’il a recueillis sur son champ. C’est par des impôts personnels, par des monopoles ou priviléges exclusifs de vendre le sel, les boissons fortes ou les autres marchandises : c’est par le droit, de taxer et d’acheter les denrées du cru par eux-mêmes, par leurs régisseurs, ou par leurs fermiers, que les petits Despotes arbitraires de ces contrées rançonnent ainsi leurs malheureux esclaves.

Une politique barbare, mais conséquente dans sa férocité, condamne ces infortunés à l’ignorance la plus grossiere, et les façonne à l’obéissance purement passive sous le bâton d’un commandeur. Le découragement, la stupidité, l’ivrognerie, sont les suites naturelles et inévitables de cet état.

La conséquence ultérieure mais infail[155]lible de cette tyrannie, c’est l’anéantissement presque total des trois arts qui caractérisent les sociétés policées. L’art social ne peut jamais s’établir dans une horde composée d’esclaves et de despotes arbitraires. L’instruction claire, universelle, et progressivement perfectionnée de la morale économique, peut-elle s’accorder avec l’attentat général et continuel des hommes sur la liberté personnelle des autres hommes ? L’autorité peut-elle remplir les devoirs de la protection, c’est-à-dire, réprimer les usurpations et garantir les propriétés, quand on a une fois substitué au titre naturel et légitime qui caractérise le propriétaire et l’usurpateur, le seul titre de la force et de la violence, qui caractérise les oppresseurs et les opprimés ; les oppresseurs qui peuvent tout oser, et les opprimés qui doivent tout souffrir ?

Comment se pourroit-il dans un pareil désordre que l’art productif et les arts [156] stériles ne fussent pas dans l’inertie, dans la