Page:Baudelaire - L'Art romantique 1869.djvu/118

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car, elle aussi, elle est une créature d’apparat, un objet de plaisir public. Mais ici la conquête, la proie, est d’une nature plus noble, plus spirituelle. Il s’agit d’obtenir la faveur générale, non pas seulement par la pure beauté physique, mais aussi par des talents de l’ordre le plus rare. Si par un côté la comédienne touche à la courtisane, par l’autre elle confine au poëte. N’oublions pas qu’en dehors de la beauté naturelle, et même de l’artificielle, il y a dans tous les êtres un idiotisme de métier, une caractéristique qui peut se traduire physiquement en laideur, mais aussi en une sorte de beauté professionnelle.

Dans cette galerie immense de la vie de Londres et de la vie de Paris, nous rencontrons les différents types de la femme errante, de la femme révoltée à tous les étages : d’abord la femme galante, dans sa première fleur, visant aux airs patriciens, fière à la fois de sa jeunesse et de son luxe, où elle met tout son génie et toute son âme, retroussant délicatement avec deux doigts un large pan du satin, de la soie ou du velours qui flotte autour d’elle, et posant en avant son pied pointu dont la chaussure trop ornée suffirait à la dénoncer, à défaut de l’emphase un peu vive de toute sa toilette ; en suivant l’échelle, nous descendons jusqu’à ces esclaves qui sont confinées dans ces bouges, souvent décorés comme des cafés ; malheureuses placées sous la plus avare tutelle, et qui ne possèdent rien en propre, pas même l’excentrique parure qui sert de condiment à leur beauté.