Page:Baudelaire - L'Art romantique 1869.djvu/19

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à traduire, n’est-il pas nécessaire que celui-ci soit armé à l’avance de tous les moyens de traduction les plus rapides ? »

Il est évident qu’à ses yeux l’imagination était le don le plus précieux, la faculté la plus importante, mais que cette faculté restait impuissante et stérile, si elle n’avait pas à son service une habileté rapide, qui pût suivre la grande faculté despotique dans ses caprices impatients. Il n’avait pas besoin, certes, d’activer le feu de son imagination, toujours incandescente ; mais il trouvait toujours la journée trop courte pour étudier les moyens d’expression.

C’est à cette préoccupation incessante qu’il faut attribuer ses recherches perpétuelles relatives à la couleur, à la qualité des couleurs, sa curiosité des choses de la chimie et ses conversations avec les fabricants de couleurs. Par là il se rapproche de Léonard de Vinci, qui, lui aussi, fut envahi par les mêmes obsessions.

Jamais Eugène Delacroix, malgré son admiration pour les phénomènes ardents de la vie, ne sera confondu parmi cette tourbe d’artistes et de littérateurs vulgaires dont l’intelligence myope s’abrite derrière le mot vague et obscur de réalisme. La première fois que je vis M. Delacroix, en 1845, je crois (comme les années s’écoulent, rapides et voraces !), nous causâmes beaucoup de lieux communs, c’est-à-dire des questions les plus vastes et cependant les plus simples : ainsi, de la nature, par exemple. Ici, monsieur, je vous demanderai la permission de me citer moi-même, car une