Page:Baudelaire - L'Art romantique 1869.djvu/312

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vaises langues ; mais il n’en est rien. Non, le dieu Pan n’est pas mort ! le dieu Pan vit encore, reprit-il en levant les yeux au ciel avec un attendrissement fort bizarre… Il va revenir.

Il parlait du dieu Pan comme du prisonnier de Sainte-Hélène.

— Eh quoi, lui dis-je, seriez-vous donc païen ?

— Mais oui, sans doute ; ignorez-vous donc que le Paganisme bien compris, bien entendu, peut seul sauver le monde ? Il faut revenir aux vraies doctrines, obscurcies un instant par l’infâme Galiléen. D’ailleurs, Junon m’a jeté un regard favorable, un regard qui m’a pénétré jusqu’à l’âme. J’étais triste et mélancolique au milieu de la foule, regardant le cortége et implorant avec des yeux amoureux cette belle divinité, quand un de ses regards, bienveillant et profond, est venu me relever et m’encourager.

— Junon vous a jeté un de ses regards de vache, Bôôpis Êrê. Le malheureux est peut-être fou.

— Mais ne voyez-vous pas, dit une troisième personne, qu’il s’agit de la cérémonie du bœuf gras. Il regardait toutes ces femmes roses avec des yeux païens, et Ernestine, qui est engagée à l’Hippodrome et qui jouait le rôle de Junon, lui a fait un œil plein de souvenirs, un véritable œil de vache.

— Ernestine tant que vous voudrez, dit le païen mécontent. Vous cherchez à me désillusionner. Mais l’effet moral n’en a pas moins été produit, et je regarde ce coup d’œil comme un bon présage.