Page:Baudelaire - Les Fleurs du mal 1857.djvu/102

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Et le long des maisons, sous les portes cochères,
Des chats passaient furtivement,
L’oreille au guet, — ou bien, comme des ombres chères,
Nous accompagnaient lentement.

Tout-à-coup, au milieu de l’intimité libre
Éclose à la pâle clarté,
De vous, — riche et sonore instrument où ne vibre
Que la radieuse gaîté,

De vous, claire et joyeuse ainsi qu’une fanfare
Dans le matin étincelant,
— Une note plaintive ; une note bizarre
S’échappa, — tout en chancelant

Comme une enfant chétive, horrible, sombre, immonde,
Dont sa famille rougirait,
Et qu’elle aurait long-temps, pour la cacher au monde,
Dans un caveau mise au secret.

Pauvre ange, elle chantait, votre note criarde,
« Que rien ici-bas n’est certain,
Et que toujours, avec quelque soin qu’il se farde,
Se trahit l’égoïsme humain ;

Que c’est un dur métier que d’être belle femme,
— Qu’il ressemble au travail banal
De la danseuse folle et froide qui se pâme
Dans un sourire machinal ;