Page:Baudelaire Les Fleurs du Mal.djvu/28

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aperçu, comme une correspondance du Ciel. La soif insatiable de tout ce qui est au delà et que voile la vie, est la preuve la plus vivante de notre immortalité. C’est à la fois par la poésie et à travers la poésie, par et à travers la musique que l’âme entrevoit les splendeurs situées derrière le tombeau. Et, quand un poëme exquis amène les larmes au bord des yeux, ces larmes ne sont pas la preuve d’un excès de jouissance, elles sont bien plutôt le témoignage d’une mélancolie irritée, d’une postulation de nerfs, d’une nature exilée dans l’imparfait et qui voudrait s’emparer immédiatement, sur cette terre même, d’un paradis révélé.

» Ainsi le principe de la poésie est, strictement et simplement, l’aspiration humaine vers une beauté supérieure, et la manifestation de ce principe est dans un enthousiasme, un enlèvement de l’âme, enthousiasme tout à fait indépendant de la passion, qui est l’ivresse du cœur, et de la vérité, qui est la pâture de la raison. Car la passion est chose naturelle, trop naturelle même pour ne pas introduire un ton blessant, discordant dans le domaine de la beauté pure ; trop familière et trop violente pour ne pas scandaliser les purs Désirs, les gracieuses Mélancolies et les nobles Désespoirs qui habitent les régions surnaturelles de la poésie. »

Quoique peu de poëtes eussent une originalité et une inspiration plus spontanément jaillissantes que Baudelaire, sans doute par dégoût du faux lyrisme qui affecte de croire à la descente d’une langue de feu sur l’écrivain rimant avec peine une strophe, il prétendait que le véritable auteur provoquait, dirigeait et modifiait à volonté cette puissance mystérieuse de la production littéraire, et nous trouvons dans un très-curieux morceau qui précède la traduction du célèbre poëme d’Edgar Poe intitulé le Corbeau, les lignes suivantes, demi-ironiques, demi-sérieuses, où la pensée propre