Page:Baudelaire Les Fleurs du Mal.djvu/377

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cette mystérieuse porte de l’Infini à laquelle il se heurte, mais qu’il ne sait pas ouvrir, et de rage il se replie sur la langue et passe ses fureurs sur elle. Figurez-vous cette langue, plus plastique encore que poétique, maniée et taillée comme le bronze et la pierre, et où la phrase a des enroulements et des cannelures ; figurez-vous quelque chose du gothique fleuri ou de l’architecture moresque appliqué à cette simple construction qui a un sujet, un régime et un verbe ; puis, dans ces enroulements et ces cannelures d’une phrase qui prend les formes les plus variées comme les prendrait un cristal, supposez tous les piments, tous les alcools, tous les poisons, minéraux, végétaux, animaux, et ceux-là les plus riches et les plus abondants, si on pouvait les voir, qui se tirent du cœur de l’homme, et vous avez la poésie de M. Baudelaire, cette poésie sinistre et violente, déchirante et meurtrière dont rien n’approche dans les plus noirs ouvrages de ce temps qui se sent mourir. Cela est, dans sa férocité intime, d’un ton inconnu en littérature. Si à quelques places, comme dans la pièce la Géante ou dans Don Juan aux enfers, — un groupe en marbre blanc et noir, — une poésie de pierre, di sasso, comme le commandeur, — M. Baudelaire rappelle la forme de M. Victor Hugo, mais condensée et surtout purifiée ; si à quelques autres, comme la Charogne, la seule poésie spiritualiste du recueil, dans laquelle le poëte se venge de la pourriture abhorrée par l’immortalité d’un cher souvenir :

Alors, ô ma beauté ! dites à la vermine
Qui vous mangera de baisers,
Que j’ai gardé la forme et l’essence divine
De mes amours décomposés !


on se souvient de M. Auguste Barbier, partout ailleurs l’au-