Page:Baudelaire Les Fleurs du Mal.djvu/379

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Elle a, au contraire, d’horribles réalités que nous connaissons et qui dégoûtent trop pour permettre même l’accablante sérénité du mépris. M. Baudelaire n’a pas voulu être dans son livre des Fleurs du mal un poëte satirique, et il l’est pourtant, sinon de conclusion et d’enseignement, au moins de soulèvement d’âme, d’imprécations et de cris. Il est le misanthrophe de la vie coupable, et souvent on s’imagine, en lisant, que si Timon d’Athènes avait eu le génie d’Archiloque, il aurait pu écrire ainsi sur la nature humaine et l’insulter en la racontant !

IV

Nous ne pouvons ni ne voulons rien citer du recueil de poésies en question, et voici pourquoi : une pièce citée n’aurait que sa valeur individuelle, et il ne faut pas s’y méprendre, dans le livre de M. Baudelaire, chaque poésie a, de plus que la réussite des détails ou la fortune de la pensée, une valeur très importante d’ensemble et de situation qu’il ne faut pas lui faire perdre en la détachant. Les artistes qui voient les lignes sous le luxe et l’efflorescence de la couleur percevront très bien qu’il y a ici une architecture secrète, un plan calculé par le poëte, méditatif et volontaire. Les Fleurs du mal ne sont pas à la suite les unes des autres comme tant de morceaux lyriques, dispersés par l’inspiration et ramassés dans un recueil sans d’autre raison que de les réunir. Elles sont moins des poésies qu’une œuvre poétique de la plus forte unité. Au point de vue de l’art et de la sensation esthétique, elles perdraient donc beaucoup à n’être pas lues dans l’ordre où le poëte, qui sait ce qu’il fait, les a rangées. Mais elles perdraient bien