Page:Baudelaire Les Fleurs du Mal.djvu/386

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plus franchement : elle a choisi, c’était son droit ; mais, son choix fait, elle l’a publié sans commentaire[1].

II

Le livre des Fleurs du mal[2] contient tout au juste cent pièces, parmi lesquelles un assez grand nombre de sonnets, et dont la plus longue excède à peine cent vers. Si je m’arrête tout d’abord à ce résultat, c’est qu’en s’ajoutant à d’autres observations, elle confirme une opinion que j’ai depuis longtemps sur l’avenir de la poésie. Cette opinion, qui n’est point une simple conjecture, mais une induction tirée du développement de l’histoire, est qu’à mesure que le nombre des lecteurs augmente, à mesure que le livre imprimé, en se répandant, convertit les auditeurs impressionnables, passionnables, en lecteurs méditatifs et réfléchis, la poésie doit concentrer son essence et restreindre son développement. Je ne prétends pas, — ce qu’on ne manquerait pas de me faire dire si je ne revenais sur mon assertion, — que la poésie doive devenir un art purement plastique. Mais du moins elle doit resserrer ses moyens plastiques comme son inspiration. La poésie à grandes proportions, la poésie épique, est celle des peuples, non pas barbares, mais peu liseurs, ou qui ne savent pas encore lire et qui sont naturellement plus saisissables par la passion que par la ré-

  1. Cet article, écrit pour la Revue française au moment même de l’apparition des Fleurs du mal, ne fut publié qu’un peu plus tard, après le jugement, et avec quelques changements.
    (Note des éditeurs.)
  2. Il s’agit de la première édition. — C. A.