Page:Baudelaire Les Fleurs du Mal.djvu/396

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Pendant que le parfum des vers tamariniers,
Qui circule dans l’air et m’enfle la narine,
Se mêle dans mon âme au chant des mariniers !

Si je voulais citer d’autres preuves de cette rare faculté de magie et de création pittoresque, les exemples afflueraient sous ma plume. Contraint de me borner, pour avoir été trop bavard, je ne puis que renvoyer les lecteurs aux pièces intitulées les Phares, la Muse malade, le Guignon, la Vie antérieure, de Profundis clamavi, le Balcon, la Cloche fêlée, etc.

J’ai parlé du don d’évocation comme d’un des plus particuliers à l’auteur des Fleurs du mal. — Un crime a été commis ; la police pénètre dans un appartement clos et mystérieux, où, parmi les splendeurs du luxe et de la volupté la plus délicate, un cadavre de femme gît sur un lit, la tête séparée du tronc. — De quel crime ténébreux, se demande le poëte, cette malheureuse a-t-elle été victime ? À quelle passion monstrueuse a-t-elle été sacrifiée ? — Et tout aussitôt la chambre mystérieuse, avec son atmosphère malsaine, l’alcôve coquette où ruisselle un corps mutilé au milieu des meubles dorés, des divans soyeux, des bouquets qui se fanent dans les vases, apparaissent avec la puissance d’une ceinture sinistre et dont la mémoire gardera la terreur.

La terreur, je l’ai dit, car il est temps d’expliquer l’énigme de ce titre et de quelques-unes des inspirations de l’auteur. Nous sommes tellement accoutumés à être lâchement encensés ; on nous a tant de fois répété à tous, grands ou petits, poëtes, artistes, bourgeois, que nous sommes les plus vertueux, les plus parfaits, les plus délicats, qu’un poëte qui vient nous secouer dans notre satisfaction hypocrite ou indolente nous fait peur ou nous irrite. Les Fleurs du mal !