Page:Baudelaire Les Fleurs du Mal.djvu/44

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

lisé enchâsse le liquide, et les dalles de porphyre des terrasses reflètent les objets comme des glaces. La reine de Saba, en y marchant, relèverait sa robe, craignant de se mouiller les pieds, tellement les surfaces sont luisantes. Le style de cette pièce brille comme un marbre noir poli. » N’est-ce pas une étrange fantaisie que cette composition faite d’éléments rigides où rien ne vit, ne palpite, ne respire, où pas un brin d’herbe, pas une feuille, pas une fleur, ne viennent déranger l’implacable symétrie des formes factices inventées par l’art ? Ne se croirait-on pas dans la Palmyre intacte ou la Palenqué restée debout d’une planète morte et abandonnée de son atmosphère ?

Ce sont là, sans doute, des imaginations baroques, anti-naturelles, voisines de l’hallucination et qui expriment le secret désir d’une nouveauté impossible ; mais nous les préférons, pour notre part, à la fade simplicité de ces prétendues poésies qui, sur le canevas usé du lieu commun, brodent, avec de vieilles laines passées de couleur, des dessins d’une trivialité bourgeoise ou d’une sentimentalité bête : des couronnes de grosses roses, des feuillages vert de chou et des colombes se becquetant. Parfois, nous ne craignons pas d’acheter le rare au prix du choquant, du fantasque et de l’outré. La barbarie nous va mieux que la platitude. Baudelaire a pour nous cet avantage ; il peut être mauvais, mais il n’est jamais commun. Ses fautes sont originales comme ses qualités, et, là même où il déplaît, il l’a voulu ainsi, d’après une esthétique particulière et un raisonnement longtemps débattu.

Terminons cette analyse déjà un peu longue, et que pourtant nous abrégeons beaucoup, par quelques mots sur cette pièce des Petites Vieilles qui a étonné Victor Hugo. Le poëte, se promenant dans les rues de Paris, voit passer de