Page:Baudelaire Les Fleurs du Mal.djvu/48

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rimes étaient enlacées d’une façon tout à fait irrégulière ; car, dans le sonnet orthodoxe, comme l’ont fait Pétrarque, Félicaja, Ronsard, du Bellay, Sainte-Beuve, l’intérieur du quatrain doit contenir deux rimes plates, féminines ou masculines au choix du poëte, ce qui distingue le quatrain du sonnet du quatrain ordinaire et commande, selon que la rime extérieure donne l’e muet ou le son plein, la marche et la disposition des rimes dans les deux tercets terminant ce petit poëme, moins difficile à réussir que ne le pense Boileau, précisément parce qu’il a une forme géométriquement arrêtée ; de même que, dans les plafonds, les compartiments polygones ou bizarrement contournés servent plus les peintres qu’ils ne les gênent en déterminant l’espace où il faut encadrer et faire tenir leurs figures. Il n’est pas rare d’arriver, par le raccourci et l’ingénieux agencement des lignes, à loger un géant dans un de ces caissons étroits, et l’œuvre y gagne par sa concentration même. Ainsi une grande pensée peut se mouvoir à l’aise dans ces quatorze vers méthodiquement distribués.

La jeune école se permet un grand nombre de sonnets libertins, et, nous l’avouons, cela nous est particulièrement désagréable. Pourquoi, si l’on veut être libre et arranger les rimes à sa guise, aller choisir une forme rigoureuse qui n’admet aucun écart, aucun caprice ? L’ irrégulier dans le régulier, le manque de correspondance dans la symétrie, quoi de plus illogique et de plus contrariant ? Chaque infraction à la règle nous inquiète comme une note douteuse ou fausse. Le sonnet est une sorte de fugue poétique dont le thème doit passer et repasser jusqu’à sa résolution par les formes voulues. Il faut donc se soumettre absolument à ses lois, ou bien, si l’on trouve ces lois surannées, pédantesques et gênantes, ne pas écrire de sonnets du tout. Les Italiens et