Page:Baudelaire Les Fleurs du Mal.djvu/54

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sinon sous le rapport biographique, au moins au point de vue des doctrines. Edgar Poe a certainement influé sur Baudelaire, son traducteur, surtout dans la dernière partie de la vie, hélas ! si courte du poëte.

Les Histoires extraordinaires, les Aventures d’Arthur Gordon Pym, les Histoires sérieuses et grotesques, Eureka, ont été traduites par Baudelaire avec une identification si exacte de style et de pensée, une liberté si fidèle et si souple, que les traductions produisent l’effet d’ouvrages originaux et en ont toute la perfection géniale. Les Histoires extraordinaires sont précédées de morceaux de haute critique dans lesquels le traducteur analyse en poëte le talent si excentrique et si nouveau d’Edgar Poe, que la France, avec sa parfaite insouciance des originalités étrangères, ignorait profondément avant que Baudelaire l’eût révélé. Il apporte à ce travail, nécessaire pour expliquer une nature si en dehors des idées vulgaires, une sagacité métaphysique peu commune et une rare finesse d’aperçus. Ces pages peuvent compter entre les plus remarquables qu’il ait écrites.

La curiosité fut surexcitée au plus haut point par ces mystérieuses histoires si mathématiquement fantastiques, qui se déduisent avec des formules d’algèbre, et dont les expositions ressemblent à des enquêtes judiciaires menées par le magistrat le plus perspicace et le plus subtil. L’Assassinat de la rue Morgue, la Lettre volée, le Scarabée d’or, ces énigmes plus difficiles à deviner que celles du sphinx et dont le mot arrive à la fin d’une façon si plausible, intéressèrent jusqu’au délire le public blasé sur les romans d’aventures et de mœurs. On se passionna pour cet Auguste Dupin d’une lucidité divinatoire si étrange, qui semble tenir entre ses mains le fil rattachant les unes aux autres les pensées les